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Un Blogue CathoGay
16 février 2007

392. éviter le phare

Voilà plus d'une semaine que je voulais écrire à propos d'une émission que j'ai entendue sur RCF. Comme pour toutes les stations, il y a de tout sur les Radios Chrétiennes Francophones, le meilleur (souvent) et parfois le franchement quelconque, mais dans l'ensemble j'aime bien. Parfois un rien trop catho- (grand-)bourgeois à la française, mais c'est supportable.

Il s'agit d'une émission de Béatrice Soltner, intitulée "Repères" et diffusée plusieurs fois par semaine, dont le samedi matin.

L'émission de la semaine dernière recevait Monique Hébrard et tournait autour de l'accueil et l'accompagnement de femmes ayant avorté. Et je suis d'accord avec cette dame (dont j'ignore tout): il y a certes du sens à se battre pour éviter que les avortements aient lieu mais qu'il y a encore beaucoup sinon tout à faire pour entendre la détresse de ces femmes, avant mais aussi après l'avortement.

Contrairement à ceux qui tonnent contre la "culture de mort", mêlant sans nuance les défenseurs de l'avortement et ceux des droits des minorités sexuelles, je n'ai aucune difficulté à dire que je ne suis pas du tout un défenseur de l'avortement, et qu'on peut parfaitement être contre l'avortement et en faveur des droits des minorités sexuelles. L'amalgame des deux "causes" (et donc de leur condamnation) dans les milieux vaticans (dans le catéchisme, aussi) est, je trouve, à tout le moins précipitée et certainement injuste. Après tout, il y a des gay dans les mouvements contre l'avortement et il y en a autant (sinon plus) qui militent contre les droits des homosexuels (rien de tel qu'un homo pour faire un bon homophobe).

Dans l'émission, d'ailleurs, Monique Hébrard expliquait une position très raisonnable, je trouve. Elle se disait prête à tout faire pour éviter qu'il y ait des avortements, mais elle voyait aussi l'utilité (la nécessité?) d'une loi qui permette à la société de venir en aide aux femmes qui vivent ce choix difficile et surtout de les entendre dans leurs difficultés. Encadrer l'avortement vaut mieux que de le laisser dans la clandestinité, aux mains de tous les charlatans et les exploiteurs... Une position qui a sa logique et qu'on peut respecter. Pragmatique, et donc théoriquement insatisfaisant, mais très humain.

Je ne sais pas trop ce que cette dame pense des homosexuels (je soupçonne qu'elle croit que c'est un choix ou une maladie), mais j'ai retenu de ses propos sur l'avortement quelques petites idées qui m'ont fait réfléchir...

Tout d'abord, elle commentait la situation de la réflexion éthique (et politique) en France. Elle disait (je simplifie) qu'en général (pour la question de l'avortement comme pour les autres), il y a très vite deux camps idéologiques qui se forment et donc, en fin de compte, personne ne vas voir ce qui se passe dans la réalité. Je ne sais pas si c'est un "mal français", bien que je l'ai déjà entendu dire. Mais dans le cas de l'homosexualité, par exemple, je trouve que cette réflexion s'applique bien.

Je suis toujours étonné d'entendre dire, par exemple dans la hiérarchie catholique, beaucoup de mal des homosexuels, de leur affectivité, de leurs couples, de leurs familles, etc., et cela alors qu'il n'y a aucune étude pastorale sérieuse sur le sujet. L'ignorance de ceux qui parlent est de plus en plus manifeste. C'est un peu comme pour le docteur Knock pour qui tout homme bien portant est un malade qui s'ignore. En d'autres termes: l'Église n'a pas besoin d'écouter les minorités sexuelles puisqu'elle sait déjà tout de leur vie, de leur expérience, de leur destinée grâce à une série d'experts qui parlent au nom de tous ces pauvres malades qu'ils reçoivent dans leurs officines. Une prétention de plus en plus difficile à défendre.

Deuxième réflexion que j'ai retenue: Monique Hébrard suggérait de sortir du "parler correct". Elle faisait allusion à ceux qui "croient bien faire" en disant soit que l'avortement, c'est très bien (ou indifférent éthiquement), soit que l'avortement, c'est un meurtre d'enfant, un maximum dans l'horreur. Il y a, au contraire, de la vérité à tenir des positions apparemment contradictoires: comme, par exemple, le fait qu'un avortement est un acte grave, mettant une vie dans la balance mais qu'il y a quelque chose de terrible à voir des femmes tellement en détresse qu'elles n'arrivent pas à voir leur vie avec l'enfant qu'elles attendent. L'horreur de savoir des enfants avortés semble parfois éclipser l'horreur de savoir que des femmes vivent de telles situations et des choix aussi déshumanisants. Est-ce qu'il n'y a pas moyen, en tant que chrétiens, d'avoir à la fois pitié des enfants à naître et des femmes qui avortent?

Dans le cas des homosexuels, me dis-je, la transposition est immédiate: ne pas gesticuler dans tous les sens dans certaines danses de la "fierté gay" tout à fait déplacées (car ce n'est pas du tout facile tous les jours d'appartenir à une minorité sexuelle) et en même temps sortir de ces schéma doloristes et lacrymogènes qui font des homo de pauvres petits souffrants dont la seule issue est l'amputation de leur sexualité dans un célibat imposé pour des causes naturelles. Être homo, c'est un des éléments de la vie humaine, et donc ce n'est pas drôle tous les jours, comme tout ce qui est humain. Néanmoins, toute humanité est destinée à la sainteté.

Dans certains milieux catho, par exemple (y compris chez des homo catho), ça fait très bien de larmoyer en choeur sur la misère du "choix homosexuel". Et comme tout ce qui "fait très bien", c'est déplacé. En sens inverse, je suis en désaccord avec une banalisation affichée par certains militants homo, qui font de la vie gay une grande partie de plaisir facile, de désinvolture et d'insouciance.

Pour ce qui est de l'Église et de ses discours éthiques, Monique Hébrard la comparait à un phare qui fixe des repères nécessaires et utiles (voire vitaux), surtout en cas de tempêtes. Je suis assez d'accord, en gros.

Néanmoins (et ceux d'entre vous qui font de la navigation vont me comprendre), je voudrais rappeler que le phare indique d'abord la direction à éviter, par exemple parce qu'il indique des dangers pour les navigateurs. Même à l'entrée d'un port, le navigateur ne doit pas viser le phare exactement, sinon on rate l'entrée du port et on se retrouve dans le phare. Donc, se diriger vers le phare, c'est la catastrophe assurée.

Je sais que ça semble un peu idiot de dire ça, mais comme toutes les paraboles, celle du phare dit bien ce qu'elle veut dire: l'Église a raison de signaler des écueils, des dangers, des pièges, mais ce n'est pas la même chose que de dire au capitaine où il doit conduire son navire ni quelle route il doit choisir. Et parfois, j'ai l'impression que, dans l'Église, le phare se pose en capitaine de vaisseau ou en amiral de la flotte.

Ainsi, par exemple: bien sûr que l'Église doit affirmer les repères. Mais sa mission principale, c'est d'abord le soin pastoral. Ainsi, dit Monique Hébrard, elle a trouvé lors de ses recherches des dizaines de références chez Jean-Paul II pour condamner fermement l'avortement. Mais elle n'a trouvé que deux textes peu connus où il affirme qu'il ne faut pas juger les femmes qui ont avorté, ni les culpabiliser. Mais au contraire qu'il convient d'être à leur côté pour que de ce mal qu'elles ont vécu il ne sorte pas un mal encore plus grand. En d'autres termes, d'accord que l'Église a pour rôle d'affirmer des repères mais elle a un rôle encore plus grand à dire des paroles pastorales fortes et libérantes, non culpabilisantes et qui ouvrent à une victoire contre le mal. Sinon, nous serions une Église des "purs", réservée à ceux qui n'ont jamais péché et qui expulse ceux qui n'ont pas suivi la norme.

Or, que voit-on dans le cas de l'avortement (par exemple ce qu'on a vu au Portugal ces dernières semaines), le monde catholique pro-life joue à plein dans la culpabilité et la condamnation: "vous êtes des assassins d'enfants", "comment une vraie femme peut-elle faire une chose aussi horrible", "avorter, c'est l'équivalent d'un génocide nazi", "regardez cette photo agrandie mille fois d'un embryon, ne voyez-vous pas que vous portez un bébé?", etc. Le règne de la culpabilité à outrance, justifiée par l'urgence de sauver des vies. Les femmes qui ont avorté apparaissent comme des monstres sans coeur, des femmes indignes. Elles n'ont comme solution que d'aller se cacher et de se taire. On ne fait pas du bien en faisant du mal. On ne conduit pas vers le bien en usant de l'arme de la culpabilisation.

Ici encore, je transpose au cas des minorités sexuelles: où sont les paroles pastorales qui encouragent les homo (par exemple) qui veulent vivre des vies de couples ou de familles à la lumière de l'Évangile? Au lieu de dire, comme beaucoup d'évêques (par exemple à Lyon), qu'il s'agit d'une insulte à l'amour hétéro, où sont les paroles qui disent aux homo "bravo pour l'effort, même si, moi votre évêque, j'ai des doutes sur les résultats". En fait, en termes pastoraux, j'entend ceci: "vous les homo, ne croyez pas à l'amour, ne croyez pas au couple, pour vous c'est perdu d'avance, abandonnez tout espoir". Pas vraiment une Bonne Nouvelle, et plutôt largement une Mauvaise Nouvelle.

Enfin, Monique Hébrard suggère de redécouvrir une attitude d'écoute qui donne confiance. Les chrétiens (et en particulier les évêques) devraient, dit-elle, être des gens dont les qualités d'écoute sont telles que tous savent qu'ils ne seront pas jugés ni condamnés par eux. Néanmoins, "écouter sans banaliser", dit Monique Hébrard. Et dans le cas des femmes qui ont avorté, les écouter raconter leur expérience, sans banaliser la gravité de leur acte mais aussi sans les enfermer dans cette expérience négative, ni les juger (elles se jugent souvent bien assez comme ça, inutile d'en ajouter une couche).

De même, en revenant à mon sujet favori, je suis forcé de constater qu'il y a un sentiment diffus chez de très nombreux homosexuels (catholiques ou non): "pourquoi irions-nous parler à des prêtres ou à des évêques? nous savons qu'ils nous ont déjà jugés coupables ou mauvais". Cette certitude que l'accueil de l'Église a été et sera toujours culpabilisant et négatif est tellement répandue qu'il devient difficile de l'ignorer ou de dire qu'il ne s'agit que d'un préjugé. Pour prendre une comparaison: comment des fidèles iraient-ils se confesser à un prêtre s'ils savent à l'avance qu'il va les condamner sans les écouter?

Je rêve de quelque chose du genre: "Moi, votre évêque, j'ai certes des choses à vous dire mais je voudrais d'abord vous entendre raconter votre histoire. Venez quand vous voulez, ma porte vous est ouverte."

Bon, d'accord, on pourrait en parler des heures de ces quelques réflexions. Et je vous les étale un peu sans nuances, brutes. On reparlera. Là-dessus, bonne semaine du Carnaval, parce que je crois que je vais partir pour "dé-stresser" un peu...

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