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Un Blogue CathoGay
30 juin 2007

445. vivre comme des frères

Si vous n'écoutez rien en ce moment, un petit conseil musical (cliquez ci-dessous):
Sanseverino "Exactement"


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Il y a longtemps que je voulais revenir sur le fameux Ordo Ad Fratres Faciendum ou Aldelphopoiesis, en francais Affrairement. En fait, le terme n'était plus utilisé que dans certains coins reculés de l'Orthodoxie ou bien par des médiévistes spécialisés dans les contrats civils. Il existe aussi un petit "Office" en latin (plus cours que l'office de la tradition byzantine), un rite pour "affrairer" (littéralement "faire des frères") dont je n'ai hélas trouvé sur internet qu'une traduction anglaise.

Mais, beaucoup d'entre vous le savent, le terme est revenu (depuis de le début des années 90) à l'avant-plan des discussions sur les minorités sexuelles grâce au livre de John Boswell, "Unions de Même Sexe". Je suis tombé amoureux de cet homme au premier regard et, faut-il le dire, ce Catholique converti et historien de talent avait un charme et une allure superbes. Particulièrement, quand il parlait de sa vie de sidéen chrétien, on en avait les larmes aux yeux. Aujourd'hui encore, je pense qu'il s'agit d'un des homo les plus importants du 20ème siècle, pour son influence et la place qu'il a pris dans la prise de conscience de l'Histoire des minorités sexuelles, en particulier dans le domaine religieux et chrétien.

John_Boswell_1

Vous n'ignorez pas non plus le déluge d'hystérie que son livre a produit dans les milieux homophobes catholiques et orthodoxes. Au mieux, ses arguments ont été balayés d'un revers de la main (alors qu'il a tout de même été 20 ans dans le département "Histoire" de la prestigieuse université de Yale). Dans beaucoup de cercles, la simple mention de son livre vous fait passer pour un demeuré. Le discrédit de son oeuvre se résume en un mot: anachronisme. Ou parfois "reconstructivisme", mais c'est la même chose. Selon ses opposants (surtout en dehors des cercles académiques), il a transposé une lecture actuelle du mariage et du couple, à des pratiques antiques.

Il est clair que, s'il avait vécu, John Boswell aurait précisé ou mieux documenté certains de ses propos. Sans parler de découvertes ultérieures qu'il aurait pu faire. Les quelques dizaines de documents inédits qu'il a littéralement déterrés n'ont pas été utilisés de la même manière par d'autres historiens qui ont pris sa relève. Plus simplement, s'il avait vécu, il y a des méchancetés homophobes auxquelles il aurait répondu et qui, aujourd'hui, restent "impunies".

Les historiens que j'ai consultés (deux à Harvard, un à Georgetown, un à Oxford et trois à l'UCLA), et dont j'admets qu'ils étaient tous gay, sont beaucoup plus nuancés et tous admettent qu'il a apporté, à tout le moins, une redécouverte de ce domaine tout à fait oublié de l'Histoire. Beaucoup disent tout simplement: il est mort et les défauts de son oeuvre ne sont, hélas, plus réparables. Et ils soulignent, une fois de plus, que la plupart des détracteurs de John Boswell n'ont pas été plus loin que la lecture de son introduction (sinon même de la jacquette).

Il semble clair que jusqu'au 13ème, l'affrairement était une union souvent considérée comme parfaitement valide et exclusive du mariage hétéro. Certains disent même qu'il était considéré parfois comme "plus parfait" que l'union hétéro parce que la "domination de l'instinct de procréation" en était exclue. Néanmoins, quand le mariage a reçu la "qualité" de sacrement (en Occident, avec le concile du Latran en 1215), il est devenu clair que les autres formes d'unions allaient passer dans l'ombre. Par ailleurs, c'est vers cette époque également que l'homophobie (parfois violente) est devenue banale en Occident. Comment, alors, ne pas dire un mal extrême de cérémonies comme l'affrairement?

Il est évident, pour John Boswell, que l'Ordo Ad Fratres Faciendum (ou affrairement), n'avait pas qu'une seule fonction dans la société. Il n'a jamais dit que c'était partout et à toutes les époques une manière détournée de marier des hommes entre eux. Justement, ça ce serait de l'anachronisme ou du reconstructivisme. C'est un peu facile de nier qu'il est un historien d'une réputation incontestable dans sa profession. Comme s'il allait faire des erreurs de débutant dans son propre métier!

Bien sûr qu'il savait que cette cérémonie était une sorte de christianisation du rituel des "frères de sang" pratiquée avant l'évangélisation de l'Europe, et notamment des peuples occidentaux (un rituel qu'on trouve encore dans chez les Amérindiens, par exemple). Il est clair aussi que, très souvent, cette cérémonie avait en premier lieu pour but de mettre en commun des biens, des terres, des royaumes (pour créer des espèces d'indivisions) en faisant "comme si" ils n'étaient "qu'une seule chair". On retrouve des traces documentées d'affrairement... entre parents, mais aussi entre rois, entre partenaires commerciaux, etc.

Plus récemment (on parle du 9ème, ici), la cérémonie est devenue moins "pragmatique", avec des affrairements de religieux, de chevaliers ou de soldats, mais aussi d'universitaires ou d'artistes. Pour plus de détails, je vous remets à son livre.

Attention, il ne s'agit pas de variantes de la pédérastie "à la grecque", avec un jeune qui s'unirait à un plus âgé pour devenir son disciples ou son "fils spirituel". On parle bien d'affrairement, c'est-à-dire d'une relation relativement égale, avec deux personnes qui s'adoptent comme "frères".

Mais là où John Boswell pose une question qui fait hurler les homophobes, c'est quand il dit: "Et parmi toutes ces possibilités, pourquoi avez-vous systématiquement ignoré ou caché celles qui semblent indiquer qu'il y a eu des affrairements entre hommes qui s'aimaient et qui se sont unis pour la vie?" Et de citer une série de cas qui montrent bien qu'il y avait bien plus que de l'amour fraternel (le fameux amour viril) dans certains récits d'affrairement. Le "silence" sur ces cas particuliers n'est-il pas, dit Boswell, une façon de nier que dans le passé des unions de même sexe comportaient un lien romantique et affectif fort, semblable à celui du couple hétéro?

Ainsi, par exemple, des tombes de ces affrairés, où l'on peut lire qu'ils vécurent toute leur vie ensemble et qu'ils ont tout partagé: lit, maison, fortune (en cela, Boswell a été bien "vengé" par l'archéologie, j'en parlais dans la note 134). Ou bien ces affrairés qui se sont déclarés "trahis" et qui ont fait des procès à l'autre parce que l'un des deux s'est marié à une femme ou a accepté un affrairement avec un tiers. Ou encore ces monastères qui ont finalement interdit l'affrairement entre religieux parce que ça ressemblait beaucoup trop à des vies de couple (il y avait donc des "dérapages" dans une pratique généralement admise). On parle aussi de tel empereur byzantin qui a versé une pension à la mère du jeune homme auquel il avait été affrairé et qui venait de décéder, la plaçant ainsi au rang d'une "belle-mère" (c'est après la mort de son compagnon qu'il a épousé la femme qui devint impératrice).

John Boswell a aussi étudié la notion de chasteté attachée à ces affrairement, pour montrer qu'elle n'était pas significativement différente (dans les mots) à celle demandée à des époux. Même dans le mariage hétéro, il est demandé aux jeunes mariés de s'engager à vivre dans la chasteté. Ne leur disait-on pas de vivre comme des "frères et soeurs dans le Christ Jésus"? Dès lors, John Boswell invite à ne pas utiliser cet argument pour dire que les affrairés n'avaient pas une forme d'intimité physique. Simplement, ils étaient tenus de vivre leur affection "chrétiennement". De plus, l'époque méprisait un peu les rapports charnels pour favoriser des rapports plus "parfaits" (comme on le lit, par exemple, à propos de l'amour courtois).

Donc, je voudrais faire justice à John Boswell: il n'a jamais dit que toutes les cérémonies d'affrairement (ni même la majorité d'entre elles) étaient équivalentes aux mariages homo. Ce sont les homophobes qui lui font ce mauvais procès pour le discréditer.

Par contre, il nous a réconcilié avec notre histoire et notre passé, en tant que chrétiens et homo. Car il y a bien eu, tout au cours des siècles, des couples d'hommes qui s'aimaient,  qui voulaient se donner l'un à l'autre pour la vie et qui se présentaient devant Dieu pour obtenir sa bénédiction. Et l'Église les a bénis au nom de Dieu, et cela pratiquement dès les temps apostoliques.

Voilà de quoi nous étions privés, avant John Boswell: de la connaissance de nos racines. Merci à lui de nous les avoir rendues.

 


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Commentaires
G
Je viens de trouvé ton article, huit mois après sa publication.<br /> <br /> Voilà le plus bel article sur la découverte de John Boswell:<br /> http://www.geocities.com/pharsea/tradition.html#The%20Liturgical%20Witness<br /> <br /> et la plus belle apologie:<br /> http://www.geocities.com/pharsea/DarlingUnions.html<br /> <br /> Personnellement, je crois que l'adelphopoèse a été ni plus ni moins qu'une christianisation du mariage gai. En islandais, le mariage hétéro s'appelle "broðskap" (fraternisation), tandis qu'en roumain, le mariage hétéro s'appelle "însurätoare" (sororisation). De même, le mot anglais "bride" est le féminin grammatical de "brother".<br /> <br /> Comme tu dis, les détracteurs de Boswell ont à peine lu la jaquette du livre.
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