264. Polyeucte aimait Néarque
Je me doute qu'à part les amateurs de Corneille et plus tard de l'opéra de Gounod (1878), ou encore de celui de Donizetti (1848), plus personne ne se souvient vraiment des saints martyrs Néarque et Polyeucte. Sans parler du fait, qu'à première vue, le troisième siècle où ils ont vécu est, disons, assez éloigné du nôtre.
Polyeucte était un officier dans une des légions basées en Arménie, dans les années 250, d'abord du temps de Dèce. Nouveau converti à la fois chrétienne, il fait vite fort dans le zèle puisqu'il déchire en public l'édit de l'empereur Valérien contre les Chrétiens. Il perturbe une procession locale en brisant les statues. Et bien sûr, il finit horriblement torturé et meurt martyr.
Tout ce qu'il faut pour que de belles tragédies héroïques soient écrites, avec de superbes envolées lyriques ou musicales.
Mais je retiens surtout que c'était l'ami de coeur de Néarque (dont c'est justement la fête aujourd'hui), un compagnon soldat et un Chrétien très passionné, alors même qu'au début de leur histoire, Polyeucte était païen, quoique très vertueux (selon les critères assez stoïciens de l'époque).
Voici comment on raconte leur histoire (ou leur "Passion", pour reprendre les termes de l'époque): Quand débute la persécution contre les Chrétiens, Néarque prépare Polyeucte à sa possible arrestation et à la fin de leur affection. Et à ce moment, Polyeucte révèle qu'il a vu le Christ en rêve, et qu'il est dorénavant prêt à servir le Seigneur Jésus. Tout à son ardeur de nouveau converti, Polyeucte, donc, se met à faire scandale en public. D'où son arrestation.
Son beau-père (il est marié à Pauline), le gouverneur Félix, est horrifié de la conduite de son gendre et le condamne à la mort dans l'humiliation. Pauline vient le voir dans sa prison pour le supplier. Ce sont bien sûr ces scènes-là qui ont été favorisées par Corneille puis Gounod et Donizetti. Mais, selon la tradition antique, il refuse de se laisser fléchir et fut finalement baptisé dans son propre sang par le bourreau qui lui coupa la tête.
Néanmoins, il y a des choses à dire sur l'amitié des deux saints. Je ne sais pas s'ils baisaient ensemble. Quoique ça m'étonnerait, vu qu'à l'époque on n'avait même pas beaucoup de relations sexuelles entre conjoints, mépris du corps et de la chair oblige. D'ailleurs, on s'en fout s'ils baisaient.
Mais plusieurs lecteurs homo des récits anciens de martyre de ces deux saints trouvent que leurs élans d'affection sonnent très fort comme une relation de couple. Par exemple, la joie intense qu'ils semblent éprouver à imaginer une éternité ensemble dans le Royaume de Dieu. Des échanges plus intenses en tous cas que les dialogues entre Polyeucte et sa femme Pauline, où il est plutôt question de vertu, de devoir familial et d'engagement vis à vis de la patrie. C'est d'ailleurs l'influence de Corneille qui a fait de leur couple une sorte de modèle du grand sacrifice du mari chrétien qui finit par convertir l'épouse.
On le voit aussi au fait que, devant le juge, Polyeucte fait valoir que sa foi et son amitié pour Néarque comptent beaucoup plus que les liens du sang, de la famille ou du mariage... Et juste avant de mourir, Polyeucte lance un message à Néarque: N'oublie pas notre voeu secret!
Un auteur (Métaphraste?) les décrit d'ailleurs comme deux âmes en un seul corps, unis par un amour sans limite, chacun disant que c'était son coeur qui battait dans la poitrine de l'autre, selon l'ancienne théorie qui veut que, chacun, nous soyons la moitié d'une âme et qu'il existe quelque part dans le monde celui ou celle qui nous complète.
Rien d'étonnant alors que les cathogay aient adopté Polyeucte et Néarque parmi les leurs. Une telle affection entre hommes, au-delà de tous les liens les plus sacrés (patrie, famille, mariage), et dans la lumière du Christ, ne pouvait que parler à leur coeur, tout comme l'histoire (plus connue) de deux autres soldats amoureux et martyrs, Serge et Bacchus.
J'en retiens surtout ceci: qu'on le veuille ou non, il y aura toujours des homo chrétiens. Et toujours, ils vivront leur amour à la lumière de leur foi en Jésus-Christ, parfois jusqu'au martyre. De plus, leur amour réciproque sera toujours le roc sur lequel ils s'appuient pour croire au Dieu d'Amour.
Aujourd'hui encore, des cathogay s'aiment devant Dieu. Un jour, je l'espère, cet amour sera reconnu comme précieux par tous les chrétiens.
Icône de R. Lentz, ofm (en vente chez Trinity Stores)
/https%3A%2F%2Fassets.over-blog.com%2Ft%2Fcedistic%2Fcamera.png)