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Un Blogue CathoGay
17 juillet 2006

303. ce qu'ils perdent sans le savoir

Le monde et l’Eglise perdent-ils quelque chose à ne pas autoriser le mariage homo ? C’est en tous cas l’avis d’Alison Luterman (sur la photo), ce 16 juillet, dans la colonne « Fashion & Style » du très célèbre et très respecté New-York Times. Elle décrit, à la New-Yorkaise (avec un humour un rien incisif) le mariage d’amis proches, Michael et Randy. Evidemment, il lui fallait bien enrober d’un peu de vitriol les larmes de bonheur. C'est son côté 'Juif New-Yorkais' qui veut ça, je suppose.

J’ai traduit comme je peux, mais ceux d’entre-vous qui lisent l’anglais seront mieux inspirés de lire l’original dans le texte.

Quoi qu’il en soit, il faudra que j’interroge mes amis prêtres pour organiser une soirée à composer un rituel d’union et d’alliance homo. Car à défaut de l’utiliser, ça nous ferait au moins passer de bons moments.

Modern Love

Married, but certainly not to Traditions

Published: July 16, 2006 in NYTimes.com

La mère du fiancé portait un ensemble en soie de couleur pêche, ainsi qu’une expression révélant un mélange de bonheur, d’appréhension et d’effarement. La mère de l’autre fiancé portant une robe d’un bleu de paon, et une expression du même genre, qui combinait l'opinion que « je n’arrive pas à croire que c’est en train de m'arriver » avec « quelle journée magnifique, quelle adorable chapelle, comme tous ces gens sont bien habillés, on dirait un vrai mariage ».

Le père de l’un des fiancés avait besoin de rester dehors à fumer intensivement. Le père de l’autre fiancé était décédé. Mais aussi des nièces en abondance, un bouquet d’adorables petites filles maigrichonnes, habillées en rose vif et gloussant d’excitation.

Pourtant, je n’avais pas beaucoup de temps pour observer les membres de la famille, étant de ceux qui devaient tenir la huppah à ce mariage chrétien, et notre prestation était très précisément chorégraphiée.

La huppah, dans la tradition juive, est un baldaquin, souvent réalisé à partir d’un châle de prière, dont les coins sont maintenus en hauteur par des perches soutenues par les quatre membres les plus proches du couple qui se marie. Mais ces fiancés, Randy et Michael, sont catholiques… super-catholiques, en fait. Michael a été séminariste, se préparant à devenir prêtre pour les Jésuites, et Randy a été moine bénédictin, profondément ancré dans la prière, la contemplation et le service.

Alors, pourquoi, comme mon très Brooklynien de père me l'a demandé clairement, ont-ils voulu une huppah ? Le fait est que, quand vous mettez « catholique » et « mariage gay » ensemble, la conclusion inévitable c’est qu’on va assister à une débauche de rituels.

(dessin David Chelsea pour le NY Times)

Et c’est bien sûr ce qui s’est passé. Nous avons commencé par former un cercle de 100 personnes, se tenant par la main, bénissant et remerciant la terre, le ciel et les quatre points cardinaux. Nous sommes alors passés à une sorte de danse chrétienne célébrant le pain rompu et le fait de se nourrir l’un l’autre. Et pendant que le reste de l’assemblée entrait dans la chapelle, portant des gerbes d’iris noués de rubans mauves et oranges, les trois Juifs et moi nous débattions dehors pour monter la huppah.

Lors d’un mariage juif classique, notre tâche aurait été simple : garder la huppah bien tendue, sans qu’elle s’affaisse sur la tête des fiancés, et ne pas éternuer pendant la cérémonie. Mais cette huppah-ci n’était pas une huppah ordinaire. D’abord, il s’agissait d’un patchwork, créé par les amis et les parents des fiancés, avec des carrés où l’on pouvait lire par exemple « Two Boys Dancing » ou encore « I can’t even know how to think straight. » Mais la huppah était destinée dans la cérémonie à devenir une sorte de blason (que nous devions transporter plié vers l’autel), où nous allions la dérouler pour qu’elle serve de décoration tombante. Plus tard, elle deviendrait une nappe d’autel, un ambon pour la Bible et finalement une robe.

Michael, un acteur et un metteur en scène consommé, a toute une vie d’amour avec le spectacle. Je l’ai rencontré il y a six ans, quand nous jouions ensemble dans une pièce pour enfants, et j’en suis vite venue à apprécier son esprit et sa finesse. Mais il était réservé sur sa vie privée, et donc nous n’avons pas eu les conversations habituelles sur les « ex » et sur les « actuels ».

Quant il a rencontré Randy, qui irradie d’une sorte de sincérité que je n’avais vue jusqu’ici que chez des Témoins de Jéhovah, quelque chose s’est délié chez Michael, et ici, à ce mariage, c’était visible pour tout le monde.

Ainsi, quand la partie « communion » devait commencer, le prêtre en Michael a repris le dessus : il a saisi le plateau rempli de pain et l’a tenu bien haut. « Du pain ! De quoi est-il fait, pensez-vous ? »

On a entendu des réponses ici ou là: « La Terre », « Les semences ».

« Nos corps ! », s’est écrié Michael.

Et c’est là que j’ai réalisé pourquoi les religieux peuvent être si sexy. Ce n’est pas seulement qu’ils vivent dans le refoulement des sentiments. C’est aussi ce sens du miracle à l’intérieur du corps, de la place du corps à l’intérieur du miracle. Et voyant Randy regarder Michael avec sur le visage la même idée que moi, j’ai rougi.

« Michael et Randy ne veulent pas que vous soyez juste des témoins de cette cérémonie », explique le célébrant, une toute petite lesbienne avec des cheveux en épis pointés de blanc. « Ils veulent que vous la concélébriez avec eux, et ils promettent, nous promettons, que si vous ouvrez vos cœurs entièrement à ce que vous allez vivre, vous en repartirez transformés. Le voulez-vous ? »

Clameur de « Oui ! » dans l’assemblée.

Comme toutes les filles, j’adore les transformations, et j’ai donc soutenu en l’air mon coin de la huppah pendant la première heure de la cérémonie. On a allumé une bougie d’unité, on a chanté des hymnes, et un moine avec une belle voix de baryton a interprété de la musique religieuse accompagné de sa guitare. Tout – la musique, la décoration, les vêtements des fiancés (pantalons noirs, chemises imprimées du motif d’une fleur sacrée hawaïenne) – avait été choisi avec un goût exquis.

J’ai été arrachée à ma rêverie quand la huppah a changé de rôle pour devenir la nappe d’autel avant la communion.

Je n’ai jamais été communier, par respect et aussi avec cette vague peur que, en tant que Juive, je serais certainement frappée par la foudre si je le faisais. Mais le célébrant, Michael et Randy ont bien expliqué que ce geste de communion était proposé à chacun, que l’on pouvait y mettre le sens que l’on voulait, et qu’après tout le pain était challah (ndt, un peu comme kasher). Et donc je me suis mise dans la file, j’ai trempé le pain dans le cidre, et j’ai reçu généreusement du célébrant une bonne dose de « bénédiction garantie sans Jésus ».

Le contraste entre cette cérémonie et ma sortie de la nuit précédente ne pouvait pas être plus profond. J’étais allée voir un documentaire de 1972, « Winter Soldier », qui présente des soldats récemment revenus du Vietnam et qui témoignent des atrocités qu’ils ont vues ou auxquelles ils ont participé. L’un après l’autre, ces jeunes garçons au visage d’ange, cigarette malmenée entre leurs doigts, se penchent vers le micro pour décrire des souvenirs de prisonniers liés et poussés hors d’un hélicoptère en vol, d’enfants de trois enfants lapidés avec des boîtes de conserve des rations alimentaires, de villages entiers brûlés par jeu. Leurs yeux étaient secs pendant qu’ils parlaient, leurs voix fermes. Ils avaient été bien entraînés à supprimer tout signe d’émotion, aussi horribles que soient leurs souvenirs. Je pense que beaucoup d’entre eux étaient en fait en état de choc.

Quand on leur demande pourquoi ils ont participé à de telles atrocités ou pourquoi ils se sont contentés de rester là sans bouger à regarder d’autres les commettre, l’un a répondu : « On n’est pas d’abord comme ça. On veut d’abord pleurer quand un ami se fait tuer. » Mais on ne peut pas, dit-il, parce qu’alors on donne l’impression d’être faible.

« C’est le fait d’être un vrai homme », dit un autre. « Plus tu as de morts à ton palmarès, plus tu es un homme. »

Mais dans cette chapelle, j’avais décidément devant moi une toute autre version de la masculinité et des émotions masculines. Les yeux de Randy et de Michael étaient tout mouillés quand ils se sont tournés l’un vers l’autre pour réciter leurs vœux de mariage. Je me tenais derrière eux, ressentant très fort cette belle énergie masculine qui rayonnait entre eux.

Ils promirent de se chérir, de lutter côte à côte pour la justice, et de dédier leur mariage à protéger la terre. Et puis, tout à coup, Michael a regardé Randy et lui a dit : « Randy, je pourrais mourir pour toi. »

J’ai essayé d’écarter quelques larmes noires de mascara. Le mariage implique toujours une sorte de mort à soi-même, comme je l’ai appris hélas à la dure. C’est tout ou rien. Pas moyen de ne pas être totalement présent à son mariage, ou alors il va s’écrouler quand l’hiver sera venu. Et il vient toujours. Quand j’étais mariée, il y a de ça des années, je n’étais pas vraiment prête. Ou en tous cas pas aussi prête que ces deux-là ne le semblaient.

« Michael, je pourrais mourir pour toi. », ajoute Randy. On échange les anneaux, et puis ils se tournent pour regarder leurs amis et leurs familles, un océan de visages de gens qui les aiment. Pas un œil sec dans la boutique. C’est alors que nous les avons enrobés dans la huppah, comme deux grands nounours enrobés de tous nos vœux de bonheur. Ce serait tellement bon de pouvoir les protéger de cette manière, de les protéger de la haine et de la peur de ceux qui pourraient trouver leur union répugnante, mais nous savons que ce n’est pas possible. En se liant l’un à l’autre solidement et visiblement, ils deviennent une cible deux fois plus grande, mais aussi une force plus grande.

L’histoire de mon propre mariage a commencé sur une note moins sublime. En tant que jeune fille, j’ai joué les dames d’honneur pour une amie. Ma robe était en taffetas rose, avec des manches bouffantes, une ceinture étroite et un large jupon. On aurait dit Glinda, la Gentille Sorcière [ndt : dans le Magicien d’Oz], la seule chose qui manquait étant la baguette magique. Le jour avant la cérémonie, j’étais arrivée à perdre la robe quelque part, et j’ai été punie par le fait de devoir porter la robe prévue pour la première dame d’honneur (une version lavande préparée pour la tante de la mariée). La robe était trop petite de plusieurs tailles, et j’ai dû endurer tout le mariage et la réception sans prendre une seule vraie respiration et sans m’asseoir.

Peut-être que c’est cette expérience… peut-être que c’est ma version personnelle du féminisme, qui fait que je déteste les formes traditionnelles du mariage. Et en particulier, je déteste toujours quand un célébrant ou un rabbin se tourne vers l’assemblée pour dire le traditionnel « et maintenant, je vous présente Monsieur et Madame Machin ». Juste à ce moment-là, j’ai l’impression qu’on a tout simplement arraché à la femme son identité.

Quand ce fut mon tour d’être une mariée – pieds nus, dans une robe jaune, pas de traîne, pas de voile – j’étais tellement revenues des traditions que nous n’avions même pas de rabbin, juste nos amis et nos familles, avec la poésie, la musique et leurs bénédictions. Nous avions la jeunesse, et l’optimisme, et la passion, et un amour fou l’un pour l’autre.

À l’époque, ça m’avait semblé suffisant. Mais le mariage est malin : tu avances, séduite par un idéalisme tout sucré et tu peux te retrouver un matin face au pire monstre dans le miroir. Un bon mariage pourrait être comme la prise de terre qui contrôle tout le chaos explosant de deux personnes se donnant totalement l’un à l’autre. Une communauté d’intimité et d’honnêteté est essentielle. Et l’humilité de demander de l’aide à Dieu ou à l’Esprit ou à ce que vous voulez. Quand je me suis mariée, je ne savais même pas qu’il était possible de faire tout ça.

Je n’avais jamais entendu Dieu être appelé si ouvertement, sans aucune honte, avec un tel bonheur extatique et aussi souvent que durant le mariage de Michael et de Randy. Et les murs de cette petite chapelle étaient toujours debout à la fin de la cérémonie, et la foudre n’est tombée sur personne, et finalement tout à coup, c’était la fin, et les mères des jeunes mariés n’avaient plus cet air effaré ou anxieux, juste le bonheur et les larmes. Et les nièces et les neveux qui étaient restés assis avec patience tiraient sur les bras de Randy et de Michael pour être soulevés et lancés en l’air quand la musique a commencé.

Ensemble, ils ont tous marché vers l’extérieur et la pleine lumière. Mais aussi vers les filets de poulet en sauce d’abricot : que ce soit les gay Catholiques, les Juifs en titre et hétéro, les familles du Midwest qui ont parcouru une grande distance (et de plus d’une manière), sans parler de toute la collection de païens, d’anciens prêtres, de Bouddhistes, d’acteurs et de chanteurs, tous ceux qui d’une manière ou d’une autre ont absorbé cette cérémonie.

Ce n’est pas un mariage légalement reconnu. Et j’en suis même venue à penser que la Loi a raison de craindre les mariages homosexuels. Il y a une telle puissance dans ce pur amour, une telle bravoure, qu’il pourrait en faire tomber les murs de Jéricho.

Alison Luterman, qui vit à Oakland, en Californie, est l’auteure de “The Largest Possible Life” (Cleveland State University).

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