303. ce qu'ils perdent sans le savoir
Le monde et l’Eglise perdent-ils quelque chose à ne pas autoriser le mariage homo ? C’est en tous cas l’avis d’Alison Luterman (sur la photo), ce 16 juillet, dans la colonne « Fashion & Style » du très célèbre et très respecté New-York Times. Elle décrit, à la New-Yorkaise (avec un humour un rien incisif) le mariage d’amis proches, Michael et Randy. Evidemment, il lui fallait bien enrober d’un peu de vitriol les larmes de bonheur. C'est son côté 'Juif New-Yorkais' qui veut ça, je suppose.
J’ai traduit comme je peux, mais ceux d’entre-vous qui lisent l’anglais seront mieux inspirés de lire l’original dans le texte.
Quoi qu’il en soit, il faudra que j’interroge mes amis prêtres pour organiser une soirée à composer un rituel d’union et d’alliance homo. Car à défaut de l’utiliser, ça nous ferait au moins passer de bons moments.
Modern Love
Married, but certainly not to Traditions
Published: July 16, 2006 in NYTimes.com
La mère du fiancé portait un ensemble en soie de couleur pêche, ainsi qu’une expression révélant un mélange de bonheur, d’appréhension et d’effarement. La mère de l’autre fiancé portant une robe d’un bleu de paon, et une expression du même genre, qui combinait l'opinion que « je n’arrive pas à croire que c’est en train de m'arriver » avec « quelle journée magnifique, quelle adorable chapelle, comme tous ces gens sont bien habillés, on dirait un vrai mariage ».
Le père de l’un des fiancés avait besoin de rester dehors à fumer intensivement. Le père de l’autre fiancé était décédé. Mais aussi des nièces en abondance, un bouquet d’adorables petites filles maigrichonnes, habillées en rose vif et gloussant d’excitation.
Pourtant, je n’avais pas beaucoup de temps pour observer les membres de la famille, étant de ceux qui devaient tenir la huppah à ce mariage chrétien, et notre prestation était très précisément chorégraphiée.
La huppah, dans la tradition juive, est un baldaquin, souvent réalisé à partir d’un châle de prière, dont les coins sont maintenus en hauteur par des perches soutenues par les quatre membres les plus proches du couple qui se marie. Mais ces fiancés, Randy et Michael, sont catholiques… super-catholiques, en fait. Michael a été séminariste, se préparant à devenir prêtre pour les Jésuites, et Randy a été moine bénédictin, profondément ancré dans la prière, la contemplation et le service.
Alors, pourquoi, comme mon très Brooklynien de père me l'a demandé clairement, ont-ils voulu une huppah ? Le fait est que, quand vous mettez « catholique » et « mariage gay » ensemble, la conclusion inévitable c’est qu’on va assister à une débauche de rituels.
(dessin David Chelsea pour le NY Times)
Et c’est bien sûr ce qui s’est passé. Nous avons commencé par former un cercle de 100 personnes, se tenant par la main, bénissant et remerciant la terre, le ciel et les quatre points cardinaux. Nous sommes alors passés à une sorte de danse chrétienne célébrant le pain rompu et le fait de se nourrir l’un l’autre. Et pendant que le reste de l’assemblée entrait dans la chapelle, portant des gerbes d’iris noués de rubans mauves et oranges, les trois Juifs et moi nous débattions dehors pour monter la huppah.
Lors d’un mariage juif classique, notre tâche aurait été simple : garder la huppah bien tendue, sans qu’elle s’affaisse sur la tête des fiancés, et ne pas éternuer pendant la cérémonie. Mais cette huppah-ci n’était pas une huppah ordinaire. D’abord, il s’agissait d’un patchwork, créé par les amis et les parents des fiancés, avec des carrés où l’on pouvait lire par exemple « Two Boys Dancing » ou encore « I can’t even know how to think straight. » Mais la huppah était destinée dans la cérémonie à devenir une sorte de blason (que nous devions transporter plié vers l’autel), où nous allions la dérouler pour qu’elle serve de décoration tombante. Plus tard, elle deviendrait une nappe d’autel, un ambon pour la Bible et finalement une robe.
Michael, un acteur et un metteur en scène consommé, a toute une vie d’amour avec le spectacle. Je l’ai rencontré il y a six ans, quand nous jouions ensemble dans une pièce pour enfants, et j’en suis vite venue à apprécier son esprit et sa finesse. Mais il était réservé sur sa vie privée, et donc nous n’avons pas eu les conversations habituelles sur les « ex » et sur les « actuels ».
Quant il a rencontré Randy, qui irradie d’une sorte de sincérité que je n’avais vue jusqu’ici que chez des Témoins de Jéhovah, quelque chose s’est délié chez Michael, et ici, à ce mariage, c’était visible pour tout le monde.
Ainsi, quand la partie « communion » devait commencer, le prêtre en Michael a repris le dessus : il a saisi le plateau rempli de pain et l’a tenu bien haut. « Du pain ! De quoi est-il fait, pensez-vous ? »
On a entendu des réponses ici ou là: « La Terre », « Les semences ».
« Nos corps ! », s’est écrié Michael.
Et
c’est là que j’ai réalisé pourquoi les religieux peuvent être si sexy.
Ce n’est pas seulement qu’ils vivent dans le refoulement des
sentiments. C’est aussi ce sens du miracle à l’intérieur du corps, de
la place du corps à l’intérieur du miracle. Et voyant Randy regarder
Michael avec sur le visage la même idée que moi, j’ai rougi.
«
Michael et Randy ne veulent pas que vous soyez juste des témoins de
cette cérémonie », explique le célébrant, une toute petite lesbienne
avec des cheveux en épis pointés de blanc. « Ils veulent que vous la
concélébriez avec eux, et ils promettent, nous promettons, que si vous
ouvrez vos cœurs entièrement à ce que vous allez vivre, vous en
repartirez transformés. Le voulez-vous ? »
Clameur de « Oui ! » dans l’assemblée.
Comme toutes les filles, j’adore les transformations, et j’ai donc soutenu en l’air mon coin de la huppah
pendant la première heure de la cérémonie. On a allumé une bougie
d’unité, on a chanté des hymnes, et un moine avec une belle voix de
baryton a interprété de la musique religieuse accompagné de sa guitare.
Tout – la musique, la décoration, les vêtements des fiancés (pantalons
noirs, chemises imprimées du motif d’une fleur sacrée hawaïenne) –
avait été choisi avec un goût exquis.
J’ai été arrachée à ma rêverie quand la huppah a changé de rôle pour devenir la nappe d’autel avant la communion.
Je
n’ai jamais été communier, par respect et aussi avec cette vague peur
que, en tant que Juive, je serais certainement frappée par la foudre si
je le faisais. Mais le célébrant, Michael et Randy ont bien expliqué
que ce geste de communion était proposé à chacun, que l’on pouvait y
mettre le sens que l’on voulait, et qu’après tout le pain était challah (ndt, un peu comme kasher).
Et donc je me suis mise dans la file, j’ai trempé le pain dans le
cidre, et j’ai reçu généreusement du célébrant une bonne dose de «
bénédiction garantie sans Jésus ».
Le
contraste entre cette cérémonie et ma sortie de la nuit précédente ne
pouvait pas être plus profond. J’étais allée voir un documentaire de
1972, « Winter Soldier », qui présente des soldats récemment revenus du
Vietnam et qui témoignent des atrocités qu’ils ont vues ou auxquelles
ils ont participé. L’un après l’autre, ces jeunes garçons au visage
d’ange, cigarette malmenée entre leurs doigts, se penchent vers le
micro pour décrire des souvenirs de prisonniers liés et poussés hors
d’un hélicoptère en vol, d’enfants de trois enfants lapidés avec des
boîtes de conserve des rations alimentaires, de villages entiers brûlés
par jeu. Leurs yeux étaient secs pendant qu’ils parlaient, leurs voix
fermes. Ils avaient été bien entraînés à supprimer tout signe
d’émotion, aussi horribles que soient leurs souvenirs. Je pense que
beaucoup d’entre eux étaient en fait en état de choc.
Quand
on leur demande pourquoi ils ont participé à de telles atrocités ou
pourquoi ils se sont contentés de rester là sans bouger à regarder
d’autres les commettre, l’un a répondu : « On n’est pas d’abord comme
ça. On veut d’abord pleurer quand un ami se fait tuer. » Mais on ne
peut pas, dit-il, parce qu’alors on donne l’impression d’être faible.
« C’est le fait d’être un vrai homme », dit un autre. « Plus tu as de morts à ton palmarès, plus tu es un homme. »
Mais
dans cette chapelle, j’avais décidément devant moi une toute autre
version de la masculinité et des émotions masculines. Les yeux de Randy
et de Michael étaient tout mouillés quand ils se sont tournés l’un vers
l’autre pour réciter leurs vœux de mariage. Je me tenais derrière eux,
ressentant très fort cette belle énergie masculine qui rayonnait entre
eux.
Ils
promirent de se chérir, de lutter côte à côte pour la justice, et de
dédier leur mariage à protéger la terre. Et puis, tout à coup, Michael
a regardé Randy et lui a dit : « Randy, je pourrais mourir pour toi. »
J’ai
essayé d’écarter quelques larmes noires de mascara. Le mariage implique
toujours une sorte de mort à soi-même, comme je l’ai appris hélas à la
dure. C’est tout ou rien. Pas moyen de ne pas être totalement présent à
son mariage, ou alors il va s’écrouler quand l’hiver sera venu. Et il
vient toujours. Quand j’étais mariée, il y a de ça des années, je
n’étais pas vraiment prête. Ou en tous cas pas aussi prête que ces
deux-là ne le semblaient.
«
Michael, je pourrais mourir pour toi. », ajoute Randy. On échange les
anneaux, et puis ils se tournent pour regarder leurs amis et leurs
familles, un océan de visages de gens qui les aiment. Pas un œil sec
dans la boutique. C’est alors que nous les avons enrobés dans la huppah,
comme deux grands nounours enrobés de tous nos vœux de bonheur. Ce
serait tellement bon de pouvoir les protéger de cette manière, de les
protéger de la haine et de la peur de ceux qui pourraient trouver leur
union répugnante, mais nous savons que ce n’est pas possible. En se
liant l’un à l’autre solidement et visiblement, ils deviennent une
cible deux fois plus grande, mais aussi une force plus grande.
L’histoire
de mon propre mariage a commencé sur une note moins sublime. En tant
que jeune fille, j’ai joué les dames d’honneur pour une amie. Ma robe
était en taffetas rose, avec des manches bouffantes, une ceinture
étroite et un large jupon. On aurait dit Glinda, la Gentille Sorcière
[ndt : dans le Magicien d’Oz], la seule chose qui manquait étant la
baguette magique. Le jour avant la cérémonie, j’étais arrivée à perdre
la robe quelque part, et j’ai été punie par le fait de devoir porter la
robe prévue pour la première dame d’honneur (une version lavande
préparée pour la tante de la mariée). La robe était trop petite de
plusieurs tailles, et j’ai dû endurer tout le mariage et la réception
sans prendre une seule vraie respiration et sans m’asseoir.
Peut-être
que c’est cette expérience… peut-être que c’est ma version personnelle
du féminisme, qui fait que je déteste les formes traditionnelles du
mariage. Et en particulier, je déteste toujours quand un célébrant ou
un rabbin se tourne vers l’assemblée pour dire le traditionnel « et
maintenant, je vous présente Monsieur et Madame Machin ». Juste à ce
moment-là, j’ai l’impression qu’on a tout simplement arraché à la femme
son identité.
Quand
ce fut mon tour d’être une mariée – pieds nus, dans une robe jaune, pas
de traîne, pas de voile – j’étais tellement revenues des traditions que
nous n’avions même pas de rabbin, juste nos amis et nos familles, avec
la poésie, la musique et leurs bénédictions. Nous avions la jeunesse,
et l’optimisme, et la passion, et un amour fou l’un pour l’autre.
À
l’époque, ça m’avait semblé suffisant. Mais le mariage est malin : tu
avances, séduite par un idéalisme tout sucré et tu peux te retrouver un
matin face au pire monstre dans le miroir. Un bon mariage pourrait être
comme la prise de terre qui contrôle tout le chaos explosant de deux
personnes se donnant totalement l’un à l’autre. Une communauté
d’intimité et d’honnêteté est essentielle. Et l’humilité de demander de
l’aide à Dieu ou à l’Esprit ou à ce que vous voulez. Quand je me suis
mariée, je ne savais même pas qu’il était possible de faire tout ça.
Je
n’avais jamais entendu Dieu être appelé si ouvertement, sans aucune
honte, avec un tel bonheur extatique et aussi souvent que durant le
mariage de Michael et de Randy. Et les murs de cette petite chapelle
étaient toujours debout à la fin de la cérémonie, et la foudre n’est
tombée sur personne, et finalement tout à coup, c’était la fin, et les
mères des jeunes mariés n’avaient plus cet air effaré ou anxieux, juste
le bonheur et les larmes. Et les nièces et les neveux qui étaient
restés assis avec patience tiraient sur les bras de Randy et de Michael
pour être soulevés et lancés en l’air quand la musique a commencé.
Ensemble,
ils ont tous marché vers l’extérieur et la pleine lumière. Mais aussi
vers les filets de poulet en sauce d’abricot : que ce soit les gay
Catholiques, les Juifs en titre et hétéro, les familles du Midwest qui
ont parcouru une grande distance (et de plus d’une manière), sans
parler de toute la collection de païens, d’anciens prêtres, de
Bouddhistes, d’acteurs et de chanteurs, tous ceux qui d’une manière ou
d’une autre ont absorbé cette cérémonie.
Ce
n’est pas un mariage légalement reconnu. Et j’en suis même venue à
penser que la Loi a raison de craindre les mariages homosexuels. Il y a
une telle puissance dans ce pur amour, une telle bravoure, qu’il
pourrait en faire tomber les murs de Jéricho.
Alison Luterman, qui vit à Oakland, en Californie, est l’auteure de “The Largest Possible Life” (Cleveland State University).