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Un Blogue CathoGay
19 septembre 2006

331. nouvel apport à la masculinité

J'ai "acheté" un article paru aujourd'hui dans le quotidien bruxellois Le Soir. Il s'agit d'une interview de Christine Castelain-Meunier, et notamment de son nouveau livre sur l'évolution de la masculinité.

Ma lecture a été particulièrement attirée par ses propos sur l'apport des homosexuels à une évolution (positive) de la notion de masculinité ces dernières décennies.

 

« Des femmes exigeantes sur tous les plans »

L’invitée du lundi : Christine Castelain-Meunier
(questions de Dominique BERNS)
Le Soir : édition du 18/09/2006 | page 18

Plus d'un quart de siècle après la libération de la femme et la mise au rancart des modèles sociaux traditionnels, l'homme semble toujours se chercher. On a annoncé la mort du machisme ; mais celui-ci persiste, ouvertement dans certains milieux, et implicitement le plus souvent quand des hommes entre eux parlent des « nanas ».

On a loué l'authenticité des nouveaux rapports entre hommes et femmes, une fois l'amour libéré de la gangue des conventions sociales ; mais le couple moderne s'est révélé particulièrement instable et, parfois, le lieu d'un regain de violence conjugale.

On a trouvé naturel que l'homme prenne soin de lui-même ; mais beaucoup portent un regard mi-amusé, mi-moqueur sur le développement du marché des produits de soin et d'esthétique masculins.

L'homme, à dire vrai, n'est pas toujours très à l'aise dans le nouveau costume que lui a taillé la société post-soixante-huitarde. Entretien avec la sociologue Christine Castelain-Meunier, qui livre, dans Les métamorphoses du masculin (PUF), la substance d'enquêtes et de recherches qu'elle mène depuis vingt-cinq ans.

Être un homme aujourd'hui, ce n'est plus aussi simple qu'il y a cinquante ans. Les modèles et les rôles traditionnels se sont décomposés, hommes et femmes doivent imaginer à neuf leurs places, au sein de la famille comme dans le milieu professionnel ou social. Avez-vous, dans vos interviews, mis à jour les faiblesses du « sexe fort » ?

Il y a une fracture socioculturelle par rapport au modèle traditionnel du patriarcat rural et, ensuite, industriel. Dans le patriarcat rural, l'homme incarne la force physique dans un monde où l'important est la domination de la terre ; il est sur un piédestal. Avec le patriarcat industriel, le modèle évolue. L'homme n'est plus d'emblée sur un piédestal, mais reste le chef de famille, celui qui gagne l'argent. Si l'importance de la supériorité physique diminue, l'homme est celui qui a la capacité à utiliser la technologie.

Aujourd'hui, la force physique ne joue plus le même rôle. Mais le rapport que l'homme entretient avec son corps devient un moyen de signifier qu'il est masculin et de lever des ambiguïtés qui naissent du fait que ses comportements et ses rôles ne sont plus très différents de ceux des femmes. L'homme réhabilite son corps ; il affirme la capacité de se déployer dans l'ordre émotionnel, de faire preuve de sensibilité ; il l'entretient également, notamment par la musculation. Mais la maîtrise du corps ne se justifie plus par les besoins d'un rôle : aller à l'armée, travailler la terre. L'objectif, c'est d'être soi.

Pour être beau ? Il ne s'agirait donc que de mimer le modèle hédoniste mis en scène par la publicité. . .

Pas seulement. On assiste à une recomposition du rôle masculin, que l'on ne perçoit pas si l'on ne voit que le côté marchand et la « mise en scène » encouragée par la publicité. Cette recomposition passe par un nouveau rapport au corps. Ainsi, les problèmes de santé des hommes sont pris en considération, alors que l'homme, avant, n'avait pas le droit d'avoir mal au dos, de dire qu'il avait froid, qu'il était fatigué - comme s'il devait « écraser » son corps, son être.

Cette tendance, même si elle semble superficielle, hédoniste, consumériste, pointe vers plus d'humanité et d'altérité. Elle s'accompagne de l'émergence d'une culture intimiste masculine. L'homme peut parler de lui-même, des difficultés qu'il rencontre dans sa vie sentimentale et dans sa vie privée. Avant, cela n'avait pas d'importance, puisque les rôles étaient définis ; on ne se posait pas de questions.

Est-ce que l'acceptation de l'homosexualité a changé la manière dont les hommes se perçoivent eux-mêmes ?

Certainement. Il y a eu une diffusion de la culture homosexuelle, qui a été récupérée par la sphère marchande et par la publicité, notamment pour des produits de soins masculins. Toute allusion à l'homosexualité est bien sûr évacuée, mais ce sont bien les homosexuels qui ont ouvert le feu dans les années 60 en refusant de s'affirmer, en tant qu'homme, uniquement selon les critères et rôles traditionnels : la fonction, le statut social, l'argent. Ils ont revendiqué la possibilité pour l'homme de s'occuper de lui-même, puisqu'il est en situation de séduction, de conquête. Et ils ont donné un autre sens à la conquête : la rencontre de deux identités qui s'affirment en dehors des sentiers battus. Les homosexuels ont contribué à humaniser les rapports entre hommes et, partant, les rapports entre hommes et femmes, par la recherche d'une convivialité qui ne passait plus par les archaïsmes du patriarcat traditionnel. Ils ont contribué à l'émergence d'une société qui cultive le sujet, sa dignité, ses droits. Et les rôles antérieurs, qui, enfermant les individus dans des carcans, ne leur permettaient pas de revendiquer leurs droits, ont perdu leur légitimité.

Mais l'homme, du coup, n'est-il pas plus incertain de sa masculinité ?

Bien sûr. Puisque les rôles et les places ne sont plus définis, qu'il n'y a plus de hiérarchie entre le masculin et le féminin, l'homme ne peut plus se référer automatiquement à une position de dominant. Il n'est plus le seul à rapporter un salaire, à mener une carrière, à chercher à satisfaire ses désirs dans une liberté plus grande que celle de la femme ; il n'est plus le seul à s'affirmer dans la sphère publique et politique, à jouer un rôle social. Le changement est récent : disons 1970, avec le féminisme et l'affirmation, par les femmes, de leurs droits civiques et sociaux. Mais le bouleversement est bien plus profond pour les hommes de 25 à 35 ans, qui appartiennent à la seconde génération du féminisme. Après 1968, les femmes ont revendiqué, souvent avec fracas, le droit de s'affirmer socialement ; un partage des rôles dans la famille ; etc. Mais elles avaient à conquérir la sphère publique. Aujourd'hui, elles l'ont conquise ; et ce n'est plus contesté, ni contestable.

Du roman de Michel Houellebecq « Les Particules élémentaires », vous dites : « Il dit tout haut ce que de nombreux hommes pensent, à savoir qu'ils acceptent mal la libération sexuelle des femmes ». . .

Sur le plan sexuel, les hommes cherchent à satisfaire leur partenaire et, bien sûr, à se satisfaire eux-mêmes ; ils veulent entretenir des relations sexuelles harmonieuses. En ce sens, on peut parler d'une humanisation de la condition masculine. Mais ils ressentent le poids de l'impératif de la bonne sexualité : nombre de rapports hebdomadaires, durée des préliminaires. . . Il faut être dans la norme. Dans les entretiens que j'ai menés, j'ai été frappée de constater à quel point les jeunes hommes n'osaient pas dire que l'affirmation de la femme les gêne.

Ce serait politiquement incorrect. . .

Sans aucun doute. Mais il y a plus : d'une certaine manière, cela les arrange également. Ainsi du double salaire. Nous vivons dans une société marchande où un couple va mieux s'il y a deux salaires. L'attitude des hommes est donc ambiguë. Mais ils font face à des femmes exigeantes sur tous les plans. Et cela, les jeunes générations le prennent en pleine figure. Car les jeunes femmes, aujourd'hui, ont les moyens de vivre seules, d'être autonomes, d'assumer la séparation et, éventuellement, de refaire des enfants avec un autre homme. Du coup, elles osent exprimer leurs exigences. Elles combinent tous les rôles et elles demandent aux hommes de combiner tous les rôles. Elles leur demandent de ne pas être mous, de ne pas être faibles, d'être virils, d'être sécurisants ; mais ils ne doivent pas être « machos ». Lors de mes interviews, je demandais aux femmes de définir le masculin.

Spontanément, elles répondaient que les hommes sont volages et violents. Et quand je les poussais à approfondir, elles ajoutaient qu'elles voyaient l'homme comme le partenaire sur lequel elles peuvent s'appuyer, auprès duquel elles peuvent se réconforter, se sentir fortes. Pour les hommes, ces attentes sont contradictoires : ils ont le sentiment d'être étouffés par des femmes qui leur disent, d'une part, que le machisme, c'est nul, mais qui, dès lors qu'ils sont sensibles et sympathiques, leur reprochent de ne pas être assez virils, d'être toujours malades, fatigués, de trop s'occuper d'eux-mêmes, et pas assez d'elles.

Nos arrière-grands-pères seraient sans doute étonnés de voir leurs arrière-petits-fils faire la vaisselle ou passer l'aspirateur. Le partage des tâches ménagères a été demandé par les femmes, au motif qu'elles travaillent, elles aussi, à l'extérieur du foyer. Avez-vous eu le sentiment que les hommes l'ont, dans leur majorité, accepté de bonne grâce ?

La femme, généralement, veut conserver son pouvoir de maîtresse de maison : « Tu ne frottes jamais correctement le plat à gratin » ; « Tu ne sais pas langer correctement bébé » ; « Quand tu cuisines, tu mets du désordre ». . . Et l'homme a le sentiment qu'elle est toujours derrière son dos pour lui dire, en substance, « Regarde comme tu es nul ». Cela peut être oppressant. Et on voit des hommes chercher à s'évader ou à élever des barrières, par la lecture ou l'écoute de musique. Ils ont le sentiment que les femmes veulent que tout tourne autour d'elles et ne savent pas très bien comment se comporter.

On a voulu bâtir le couple sur l'amour. Mais le couple, aujourd'hui, paraît bien fragile. . .

Ce qui m'a frappée, lors de mes interviews, c'est le fait que les jeunes hommes, qu'on décrit souvent comme étant dans l'éphémère, cherchent en réalité à entretenir des relations à long terme avec leur partenaire. Ils se préoccupent beaucoup plus de la satisfaction de leur femme. Avant, il y avait, d'une part, l'épouse, la mère des enfants, et, d'autre part, la maîtresse ou les prostituées. Les femmes ne demandaient pas de comptes aux hommes ; et, si l'homme allait le dimanche à la maison close, l'épouse devait l'accepter. Dans les jeunes générations, ce n'est plus pensable. De manière générale, le couple est devenu très relationnel, très exigeant sur le plan identitaire. Toutes les facettes de la personnalité doivent être engagées et satisfaites, c'est un idéal difficile à atteindre. Car, plus les exigences et les attentes augmentent, plus le lien est profond, mais plus il est fragile. Et plus il y a de ruptures ou de violence quand le lien n'est pas satisfaisant. C'est une des interprétations de la violence conjugale et de ce que j'appelle la « masculinité défensive ». Il y a un malaise, au moins latent, sans doute chez un grand nombre d'hommes. Mais c'est aussi, ou cela peut aussi être, une ouverture.

Etre père aujourd'hui, c'est tout différent. Souvent, les jeunes pères ont le sentiment qu'on leur demande beaucoup. . .

C'est vrai. Et parfois, ils en font trop ; et la femme ne se retrouve plus dans sa maternité. C'est peut-être un des travers de la paternité relationnelle, qui s'est substituée à la paternité institutionnelle d'autrefois. Car les jeunes pères, en majorité, ne conçoivent plus leur rôle comme autrefois. La paternité, aujourd'hui, s'accompagne d'une présence plus grande et plus active. Les hommes ont compris que la paternité n'était plus garantie, compte tenu des séparations, des divorces, des remariages. . . , et que l'un des moyens de la garantir, c'était d'être proche de l'enfant. Désormais, les jeunes hommes ont à combiner tous les registres de la vie ; c'est précieux ; c'est en ce sens qu'il y a une humanisation du masculin. Mais cela peut être angoissant. Les jeunes hommes vivent une période de transition vers ce que j'appelle la mobilité des identités. Il est important aujourd'hui que les individus soient préparés, par leur manière d'être, leur culture et leurs aspirations, à assumer ces changements sociétaux fondamentaux.

 

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