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Un Blogue CathoGay
28 septembre 2006

336. simples héros de notre temps

Quand j'ai lu cet article, je n'ai pas résisté à l'envie de vous le traduire... Et ça m'a pris quelques jours...

 

Kidnappé en Irak: Le placard ou la Mort

Le militant pacifiste James Loney savait qu'il serait tué par ses ravisseurs irakiens s'ils découvraient qu'il est gay. Son compagnon le savait aussi, lui qui était resté au Canada. Et donc, il a été obligé de retourner dans le placard.

Publié en anglais dans le magazine The Advocate, 29 Août 2006. Michael Rowe

 

La nuit précédant le départ du militant pacifiste canadien James Loney de Toronto vers Bagdad, son compagnon Dan Hunt, avec qui il vivait depuis longtemps, l'a tenu serré très fort contre lui dans l'obscurité de leur chambre. "James s'est retourné pour me dire: Que ferais-tu si c'était notre dernière nuit ensemble?" Dan se souvient très bien. Plus tôt dans la soirée, ils avaient écouté la chanson "500 Miles" des Proclaimers, et ils avaient dansé ensemble. Ils ont toujours considéré cette chanson comme "leur" chanson, et le lendemain, ils l'ont encore écoutée dans la voiture, en allant vers l'aéroport.

 

 

"J'ai réalisé que le présent est tout ce que nous aurions jamais", explique Dan, "et qu'il était magnifique." James effectuait son troisième voyage en Irak, dans le cadre des Christian Peacemaker Team, une organisation oecuménique opposée à la violence et dédiée à la propagation de la paix. Les deux hommes avaient parfois discuté de la possibilité pour James de mourir en mission. "Mais," explique Dan, "je lui répondait: Mon pire cauchemar serait de te savoir enlevé et de voir des images de toi à la télévision."

Le 26 novembre 2005, James tombait dans un embuscade près de la mosquée de Umm al-Qura, à l'ouest de Bagdad, et était enlevé avec trois de ses collègues. Leurs ravisseurs, un groupe d'insurgés totalement inconnu et se nommant la Brigade des Épées de la Justice, demande alors la libération de tous les prisonniers irakiens détenus par les forces alliées. Sinon, disent-ils, ils tueront les otages.

À la maison, Dan s'est retrouvé forcé lui aussi à une sorte de captivité. Car si l'orientation sexuelle de James était connue par ses ravisseurs, il serait certainement exécuté. Il fallait la cacher absolument. Les officiels chargés du dossier, y compris au département canadien des affaires étrangères, ont demandé à Dan de ne pas se montrer. Une photo de James, largement diffusée par la presse, a en fait été retravaillée pour retirer Dan de l'image.

Il n'a pu dire à personne à quel point il se sentait misérable. En dehors d'un petit cercle d'amis, il ne pouvait pas bénéficier de la sympathie médiatique qui soutenait les épouses et les familles des autres otages.

"J'ai appelé Dan immédiatement quand j'ai vu les nouvelles", raconte Matt, le frère de James, un météorologiste de Vancouver et qui était à ce moment-là en voyage en Equateur. "Je savais que Dan serait très profondément affecté par ce qui se passait."

Le passé de James comme activiste remonte loin. Renonçant aux aspirations traditionnelles à la richesse et au succès, James avait vécu une vie quasi-monastique, travaillant pour les enfants en difficulté, les pauvres, les sans-abris et les malades. "Vivre en chrétien, c'est vivre avec l'imagination de Dieu lui-même", a l'habitude de dire James. "La limite, pour les chrétiens, c'est la limite de l'amour, du don de soi."

Dan et James se sont rencontrés quand ils avaient 16 ans, à l'époque où ils travaillaient comme animateurs dans des camps pour jeunes défavorisés à Orilla, au Canada. Dan est tombé amoureux de James quand ils étaient à l'université. Mais James était concentré sur sa contribution à la vie de son église, et sur son désir d'aider les autres. Pensant souvent au sacerdoce, James découvre à l'époque le Catholic Worker Movement (CWM) quand son ami William Payne l'invite à visiter une "hospitalité". Fondé en 1933, le CWM est basé sur un choix de pauvreté volontaire et de vie commune dans des maisons de l'association.

Mais la vie communautaire n'allait pas sans stress pour James et Dan. Ce dernier finit pas quitter le foyer de la CWM mais s'installe tout près. Déjà, à ce moment-là, les deux jeunes hommes formaient un couple.

"Ces commandements qui étaient la règle de vie commune dans les foyers, sont aussi les valeurs à la base de notre relation", expliquait James quand il racontait son expérience du CWM. "Je pourrais le décrire comme un ancrage pour nous deux."

Joindre les Christian Peacemaker Teams (CPT) en 2000 était une étape logique pour James. Tout comme les CWM, les CPT sont une organisation pacifiste, fondée sur la notion qu'aucun Chrétien ne devrait participer à des actes de guerre. Son voyage en Irak en 2005 devait constituer une visite de 10 jours pour rassembler des données factuelles. Toujours méfiant vis-à-vis des média, James cherchait ses propres réponses.

"Le but était d'essayer de comprendre le conflit d'un point de vue le plus proche possible de la réalité des gens, et de ramener cette information à la maison", explique-t-il. Quatre jours après son arrivée, James Loney et ses trois collègues terminaient une rencontre avec l'Association des Docteurs Musulmans, (ndt: docteurs dans le sens de théologiens) quand leur véhicule a pratiquement été harponné par une voiture blanche. Quatre hommes armés en sont sortis, et sont montés dans le véhicule des Peacemakers. Ils ont ensuite roulé pendant 20 minutes pour arriver à un enclos entouré d'un mur très élevé.

"Nous avons été emmenés un par un dans le living-room de la maison et nous avons été fouillés. Ils ont pris nos caméra, nos cellulaires, nos carnets de note, l'argent, les passeports, ma ceinture et celles de autres. Nous avons ensuite été menottés, les mains dans le dos."

Et alors qu'aucun des Peacemakers ne parle arabe, ils arrivent à tenir une conversation minimale avec l'un des ravisseurs qui connaît quelques mots d'anglais. Ils surnomment cet homme "Number One."

"Nous avions avec nous ce papier, que nous appelions entre nous "la feuille magique" sur laquelle se trouvait une explication en arabe et en anglais de ce que nous étions venus faire", explique James. Il donne alors la feuille à Number One, qui apparaît frustré par ce qu'il y lit. Pour James, cette réaction pouvait signifier qu'ils s'étaient trompés d'otages. "Il me dit alors: 'Vous êtes un homme pacifique, et j'aime les pacifiques, mais cela ne change rien", se souvient James. "Car nous devons combattre les Américains qui ont envahi notre pays", ajoute l'homme.

Le lendemain, James commence à craindre que son orientation sexuelle ne soit découverte. En effet, les ravisseurs ont expliqué qu'ils feraient des recherches sur l'origine des otages afin de vérifier s'ils étaient vraiment des pacifistes. James se souvient alors des articles qu'il a écrit sur sa vie en tant que gay et prend peur que son compagnon ne soit "déplacardisé" par les média. "C'était pour moi une crainte majeure pendant les deux premières semaines", explique-t-il, "vraiment forte."

Au Canada, les amis de James et sa famille, y compris Dan, avaient anticipé la chose. Ils avaient réussi à retirer ces articles des sites internet sur lesquels ils étaient disponibles, et le mur de silence sur l'homosexualité de James s'est révélé efficace, même si, pour Dan, c'était une douleur supplémentaire.

De plus, par malchance, Dan et James n'avaient aucun partenariat reconnu, ce qui a empêché Dan d'être tenu au courant par les autorités. "Dan et moi sommes restés en contact par cellulaire", explique Matt, qui a servi de porte-parole de la famille pour les média.

Il y a aussi eu des tensions avec la famille de James à propos de leur relation. "Mes parents sont d'une autre génération, intensément catholiques et très conservateurs.", explique Matt, "Et ils ne sont jamais arrivés à mettre la sexualité de mon frère dans une juste perspective. Il leur a fallu, tout à coup, faire face à la réalité et réaliser que Dan avait une part bien plus grande dans la vie de James que ce qu'ils avaient voulu croire."

Pendant ce temps, Dan ruminait la possibilité que son compagnon pourrait ne jamais revenir à la maison. "Les premières 24 heures, nous nous déplacions dans la maison comme des limaces", dit-il. "La deuxième semaine, je restais couché au lit la plupart du temps, en pensant à l'organisation de funérailles pour Jim. J'ai commencé à réfléchir à ce que je dirais pendant l'eulogie. Et puis, pour faire simple, je passais le reste de la journée à pleurer."

Plusieurs semaines se passent, et James remarque que ses ravisseurs semblent ne pas savoir grand chose sur lui. Ils lui posent encore des questions sur sa vie. Ce qui l'amène à penser que son secret est sauf. "Je pensais souvent à Dan et je me demandais ce qui lui arrivait et comment il vivait cette affaire," se souvient James. "Je m'interrogeais aussi pour toute ma famille. J'éprouvais un profond sentiment de gratitude, et puis, graduellement... j'ai arrêté de le faire. Le désir de penser à ceux que j'avais laissé au pays s'est tout simplement évaporé."

Et alors que les mois se succèdent, une sorte de routine s'installe dans cette maison de Bagdad. James prie, utilisant ses doigts pour compter les dizaines du rosaire. La nuit, les otages dorment menottés les uns aux autres, et ils restent menottés individuellement durant la journée, sauf pour aller aux toilettes. Trois fois par jours, ils reçoivent une sorte de pain pita avec un peu de fromage et quelques frites. James finit par perdre une vingtaine de kilo. Les otages partagent les histoires de leurs vies, et James raconte comment il a lutté douloureusement avec son homosexualité.

En ce qui le concerne, James essaie de rester humain avec ses ravisseurs, et même dans cette situation de vulnérabilité, il tente de s'adresser à eux de la manière discrète, sans prosélytisme, qu'il usait avec les sans-abris quand il vivait avec les CW. "Je les traitais avec respect et une certaine forme d'attention", dit-il. "Une part de cette attitude vient de cette idée évangélique de l'amour des ennemis", et James s'est particulièrement adressé à un des ravisseurs, qu'ils avaient surnommés Junior, et qui avait perdu ses deux parents, sa soeur, son meilleur ami et sa fiancée dans un bombardement par les forces coalisées.

À l'approche de Noël, le jeune homme confie à James qu'il songe à devenir une bombe humaine pour venger sa famille. "Comment atteindre quelqu'un qui pense à utiliser son corps comme d'une arme parce qu'il est dévoré par la haine et le désespoir?" réfléchissait James. "Je ne savais pas quoi faire, mais ça me perturbait beaucoup. Je voulais prier pour lui. Mais je voulais qu'il s'agisse d'une prière que le jeune homme puisse ressentir dans son corps d'une façon physique. Alors je me suis dit: Et si je lui proposais un massage?"

Un matin, James le lui propose et Junior accepte. "J'ai l'impression qu'on ne l'avait jamais touché de cette manière auparavant", explique James. Et tout en mesurant le danger qu'il y avait à ce que ce jeune homme apprenne qu'il a été massé par un homo, James était décidé à l'atteindre, à guérir un peu de la douleur qui l'habitait et lui apporter une mesure de paix. Plus tard, dans son anglais chahuté, Junior lui explique qu'il a renoncé à être une bombe humaine. "Nous en avons parlé, et il m'a demandé mon avis. Je lui dit alors: 'Non, non, non. Ce n'est pas bien.' Lors de notre dernière conversation, il finit par me dire: 'Moi pas bombe humaine.'"

Le 12 février, l'un des otages, Tom Fox, le seul Américain du groupe, est emmené dans une autre maison. Des semaines plus tard, selon James, les ravisseurs expliquent aux otages qu'ils vont bientôt annoncer que Fox est mort mais qu'il ne s'agit que d'une manoeuvre pour augmenter la pression sur les gouvernements canadiens et britanniques. En effet, expliquent-ils, le gouvernement américain ne s'inquiète pas pour lui. Le corps ligoté de Tom Fox a été plus tard découvert à l'ouest de Bagdad, le 10 mars, par les forces américaines. Il avait été abattu d'une balle dans la tête et d'une autre dans la poitrine.

"Après le meurtre de Tom et la découverte de son cadavre, j'étais sûr que Jim serait le suivant," déclare Dan. "Nous ne sommes pas arrivés à communiquer avec les ravisseurs. Pas de communication, et puis un meurtre. Notre réponse, qui était de rester ouverts, disponibles pour eux, tout ce que nous avions fait, avait complètement échoué. Ils avaient tué Tom."

Le matin du 23 mars, James et les autres otages entendent des bruits d'un tank, de verre brisé et de bottes sur le sol. Un contingent de soldats britanniques, américains, canadiens et irakiens prend d'assaut la maison et libère les otages. L'un des soldats pousse et malmène un homme tout sale les yeux bandés. Quand il s'approche, James voit que c'est celui qu'ils avaient surnommé Medicine Man. "Je suppose qu'ils l'avaient capturé. Il a sans doute été détenu lui aussi et il a fini par amener les soldats vers la maison."

James, marchant vers la porte, remarque Medecine Man avec ses yeux bandés, seul devant tous les soldats. Et James lui touche l'épaule dans un geste de compassion et d'empathie. L'homme sursaute. "Maintenant, je regrette de ne pas lui avoir dit mon nom à ce moment-là, et j'aurais aimé le connaître en tant que personne, et que lui me connaisse aussi."

James atterrit à Toronto le 26 mars 2006, un dimanche. Il y retrouve sa famille, venue avec Dan. Peut-être échaudé par ce "placard provisoire" dans lequel il a vécu, Dan demande à James s'il est prêt à révéler à la presse leur relation. Et James de répondre simplement: "Dan, plus de prison, c'est fini. Nous avons souffert assez."

Des mois plus tard, James et Dan sont assis dans le living-room de leur maison communautaire située dans une petite rue près du Lac Ontario. Habillé d'un vieux jeans et d'un t-shirt, James a l'air bronzé et reposé. Il a regagné une bonne partie du poids qu'il avait perdu pendant les quatre mois de sa réclusion. Et même s'il ne garde qu'une vague ressemblance avec le captif émacié, aux yeux hagards, dont la photo remplissait les journaux télévisés d'Al Jazera, son épreuve ne s'éloigne jamais de sa pensée.

Il redit que la guerre en Irak a été basée sur le mensonge, et alors qu'il voit bien l'ironie d'être un pacifiste libéré par des soldats, James ré-affirme sa résolution et la fermeté de ses opinions.

"Nos ravisseurs nous disaient, quand le temps semblait durer des éternités: 'soyez patients, quand vous serez libres, nous serons libres'. Je ne sais pas si j'en aurais eu le courage, et peut-être qu'avec la grâce de Dieu je l'aurais trouvé, mais j'aurais donné ma vie si ça pouvait arrêter la violence."

 

 

Pour Dan aussi, les blessures sont lentes à guérir. "Pour les gens, je suis un inconnu", dit-il, "J'étais assis dans la salle de presse avec d'autres gens qui écoutaient les nouvelles de la captivité de James. Pas des amis proches, juste des relations. Ils s'adressaient à la famille de Jim pour demander ce qui se passait, à quel point il devait leur manquer. Mais personne ne m'a demandé à moi: Et comment le vivez-vous? Comment arrivez-vous à porter ça? Seuls les autres homo ont ressenti ce que je vivais. C'est là qu'on voit la force du mythe du placard, à quel point il crée des blessures profondes. Le placard est un lieu d'humiliation, on se sent diminué, on suffoque. On ne peut pas y rester en vie. Pendant la prise d'otages, j'ai ressenti toutes les formes d'homophobie qu'il existe, y compris celle qui se trouve au fond de nous même."

Michael Rowe est un journaliste basé à Toronto et qui a déjà reçu de nombreuses récompenses. Il est l'auteur d'une collection d'essais intitulés "Looking for Brothers".

 

 

 

 

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